La Chatte Libre n'aime pas les expressions molles

La Chatte Libre

Tentative de turlute

23 novembre 2013 par MMM

Flânerie du 11 novembre sur la Canebière. Les mains fourrées dans mon blouson en cuir, foulard sur le nez, les yeux accrochés aux affiches des Variétés. Les Variétés, c’est cet ancien cinéma porno, judicieusement placé à côté de la caserne des Marins Pompiers. Aujourd’hui plutôt d’obédience Arts et Essais, la flâneuse se tâte : j’y vais, j’y vais pas, j’y vais, j’y vais pas. Fait trop beau pour un cinoch… allez prends l’air et lève le nez. Inconsciente indécise. On ne pose pas sur un trottoir marseillais sans se coltiner de la compagnie.

Un viel homme à la rétine vitreuse s’approche :

– Je peux vous parler ?

Sur le départ et pourtant, un vieil homme seul qui cherche de la compagnie, ça ne s’ignore pas quand on se raconte gauchiste, encore moins un 11 novembre. Bon, vas-y vétéran, je t’écoute… Sourire, deux pas en avant.

– Oui, Monsieur, qu’est qu’il y a ?

– Et bien, vous voyez Mademoiselle, je vous donne de l’argent et vous voyez…

Un brin niaise la demoiselle :

– De l’argent, mais pour quoi faire ? J’ai pas besoin d’argent Monsieur…

– Et là, le vieux vicelard fait un signe de tête vers l’impasse glauque des pompiers.

– Je vous donne de l’argent et… Signe de tête.

– Putain, j’en reviens pas. Je le regarde, tourne le dos et poursuit la flânerie. Abasourdie, bouche bée, conne, conne, conne.

– Désolé si je vous ai choquée  Mademoiselle…

Quand je finis par comprendre qu’il me proposait clairement une passe à l’arrache dans un recoin dégueu, je réalise là. Je réalise que je n’ai rien dit, que du coup, j’ai la gerbe qui monte un peu, les larmes qui me travaillent vaguement les cils. Le dégoût.

Le dégoût, c’est pas qu’il m’ait pris pour une pute.

Non, le dégoût, c’est que la petite conne que je suis et qui n’avait franchement pas envie de faire dans le social, s’est quand même arrêtée et a fait un sourire au vieux Monsieur, pour que sa journée soit moins moche, moins morne, moins solitaire.

Le dégoût, c’est que ce que ce vieux entendait par « parler » : échanger dix euros contre une turlute dans l’antre des rats. Le dégoût, c’est que c’est peut-être le seul contact avec un être humain qu’il a eu ce jour là, le vieux, et qu’il n’a pu l’imaginer autrement que monnayé.

Oh, mais ça ne nous dérange pas du tout !

5 décembre 2011 par MMM

ENTRETIEN D’EMBAUCHE, PARIS, JUILLET 2011

L’investisseur, Monsieur M, la patronne historique, dite La Dame, la candidate, Madame J. Monsieur M préside face à Madame J et la Dame – De multiples oeuvres d’art se détachent sur les murs blancs.

Monsieur M. – Etes-vous mariée Madame ?

Madame J. – Non. Je vis en couple.

Monsieur M. – C’est la même chose. Vous êtes donc mariée.

Monsieur M. – Vous avez des enfants ?

Madame J. – Non.

Monsieur M. – Quel âge avez-vous, Madame ?

Madame J. – 32 ans.

Monsieur M. – Hummm.

Silence.

Madame J. – Bon, je vais être claire, puisque je pense que cette question vous taraude :  je vis avec une femme. Je ne risque donc pas de tomber enceinte demain, voyez-vous.

Monsieur M. – Oh, mais ça ne nous dérange pas du tout.

Sourire complice de la Dame qui n’a pas encore dit un mot. Elle l’aime bien. Lui semble avoir apprécié son toupet. Elle sera embauchée. Entrée par la différence, entrée comme une effrontée. Les éditeurs aiment.


SEMINAIRE, JOUR 2, PARIS, 6 SEPTEMBRE 2011

Onze personnes fraîchement embauchées pour la France et la Belgique : sept hommes et quatre femmes, Monsieur M, la Dame, l’administrateur. Très grande table, bibliothèques sur tous les murs, oeuvres d’art dans tous les coins.

Monsieur M. – Sarkosy est un fasciste. Point. L’affaire Strauss-Kahn en est la démonstration évidente. Un complot je vous dis, un complot. L’autre là, Mme Royal. On la pensait bête mais ce n’est pas une fasciste, ça aurait été mieux tout de même. Et regardez donc ces hordes de féministes… Ridicule ! Elles se trompent de combat. J’espère qu’il n’y a pas de féministe parmi nous. Le féminisme était un combat valable il y cinquante ans. Aujourd’hui, cela n’a plus de raison d’être.

Elle penche son buste en arrière, elle ne le voit plus. L’administrateur la cache. Elle tremble. Elle ne comprend pas pourquoi elle a envie de pleurer. La tristesse a voilé sa colère : il fallait qu’elle quitte le navire, un joli navire. Bien sûr, elle savait qu’elle allait partir.

L’administrateur – Nous pouvons peut-être revenir à ce qui nous occupe, à nos nouveautés.

Monsieur M. – Avez-vous lu mon livre ?

L’administrateur – Ils ne sont pas fous, évidemment qu’ils l’ont lu.

Monsieur M. – Qu’en pensez-vous Marc ?

Marc, Belgique – Je ne sais pas ce qu’il s’est passé. Je n’ai rien reçu par la Poste. Il y a dû avoir une erreur.

Il ment, tout le monde le sait mais il a du toupet.

Monsieur M. – Madame J., et vous qu’en avez-vous pensé ?

Silence.

Elle sert les dents. Simili sourire, larmes aux yeux, colère aux poings.

Monsieur M. – Je sais que je vous ai choquée Madame J.

Monsieur M. sourit. Il lui a rendu la monnaie de sa pièce d’embauche. Papy est un guerrier. Il est fier.


DEMISSION, LYON, 20 OCTOBRE 2011

Personne. Une mail et un téléphone qui sonne dans le vide.

Elle est partie trois semaines plus tard, profitant de la période d’essai. Pas assez effrontée, pas vraiment une guerrière, féministe larvée. Lui n’a pas voulu lui parler : elle est une traîtresse.

La Dame fait la morte.

Une Polo dans la peau

25 novembre 2011 par MMM

Place de la République, Paris : un petit chaperon vert se promène, insouciant. On ne se promène jamais insouciant Place de la République. On peut. Mais « on » meurt souvent quand il essaie. Quoi qu’il en soit et autant que faire se peut, le chaperon vert pose un pas devant l’autre, paisible, crocs rangés, poings dans les poches.

Passage cloutés. Le feu devient au rouge. La confiture du trafic s’épaissit. Les Polos jouent des coudes, se sentent le derrière pour gagner quelques centimètres comme s’ils avaient le temps.

Ecervelée petite dame verte, emmitouflée dans son manteau, voit un bonhomme fluo, tout pareillement vêtu, clignoter de l’autre côté. Au signal, c’est parti : une Converse sur le pavé, puis voilà l’autre pied.

« Monsieur, le feu est rouge », prévient-elle légèrement. « Connasse ! ». Grand dieu, il n’avait pourtant pas une bouche à connasse cet insignifiant trentenaire doté de ses deux W. Mais si mais si : « connasse ». Plus mignon que « salope », pas cute cute, mais passons. Détour par l’arrière, une petite tape sur le cul de la Polo pour marquer le coup. Attention au coup de sabot. Jusqu’ici, tout va bien.

Hum… tout va bien dans le manteau vert ! Du côté du trentenaire, ça voit rouge, ça maugrée, ça insulte.

Cette fois, c’est mérité : « C’était rouge connard ! Et quand c’est rouge, il ne faut pas avancer. ça ne sert à rien, ça fait chier tout le monde. T’es énervé parce que je l’ai tapée trop fort, elle a bobo ta Polo? »

Inconsciente, provocante, voici la monnaie de ta pièce :

« RRRRRRPOUA ».

Les poings serrés dans les poches, les mandibules crispées, le petit chaperon avait pourtant choisi de suivre son chemin. Ignorée la voiture bleu blanc rouge à quelques mètres. Pas de pensée impure. Objectif brassière à tenir, go to Go sport.

C’était quoi ce bruit? Oh putain, non… il n’a pas osé. Manteau retourné en éclair. Rien, mais vision périphérique qui repère un crachat en phase chute à quelques centimètres. Regard grave de deux mineurs à la casquette renversée.

Quelle tâche. Il m’a ratée. Courroux, détermination : demi tour.

Préparation : humidification buccale. Trois pas. Fenêtre ouverte. Le niais ! En pleine face. Pas mal pour un premier mollard social.

Entre temps, le chaperon vert est devenue une « salope ». Qu’à cela ne tienne. Elle espère que sa grippe est restée logée dans ses sécrétions de salope.

Le connard. Il ne quittera pas sa Polo qu’elle que soit son envie. Sa Polo, il l’a dans la peau.

Elle le sait et poursuit sa route. Les poings sont sortis. Le rouge aux joues, les larmes aux yeux. La peur aussi, un peu. Les deux casquettes retournées la félicitent : « Bravo Madame, ça se fait pas franchement. Faut pas se laisser faire ». Ils la suivent, aimantés. Elle doute de son mérite face à cette gloire inespérée.

Halte devant Habitat. Coup d’oeil à la voiture bleu blanc rouge. De quoi le faire frissonner au fond de son kangourou : encore une mission pour « Super connasse ».

Course jusqu’à la Polo. Elle n’a pas bougé. Pas la moindre avancée.

Un chaperon salope regarde le véhicule en face, à trois mètres, droit dans les yeux. Elle note sur le revers de la main les quelques chiffres de sa gourmette. Pas discrètes les gourmettes de Polo, un truc auquel les connards devraient penser.

Petit coup d’oeil sur le visage blanc, immobile. Petit salut de la main. Sourire.

Sourire d’angoisse, sourire de honte. Le petit chaperon vert n’aime pas cracher.

OMG

30 janvier 2011 par Bitchette à lunette