La Chatte Libre n'aime pas les expressions molles

La Chatte Libre

Oh, mais ça ne nous dérange pas du tout !

5 décembre 2011 par MMM

ENTRETIEN D’EMBAUCHE, PARIS, JUILLET 2011

L’investisseur, Monsieur M, la patronne historique, dite La Dame, la candidate, Madame J. Monsieur M préside face à Madame J et la Dame – De multiples oeuvres d’art se détachent sur les murs blancs.

Monsieur M. – Etes-vous mariée Madame ?

Madame J. – Non. Je vis en couple.

Monsieur M. – C’est la même chose. Vous êtes donc mariée.

Monsieur M. – Vous avez des enfants ?

Madame J. – Non.

Monsieur M. – Quel âge avez-vous, Madame ?

Madame J. – 32 ans.

Monsieur M. – Hummm.

Silence.

Madame J. – Bon, je vais être claire, puisque je pense que cette question vous taraude :  je vis avec une femme. Je ne risque donc pas de tomber enceinte demain, voyez-vous.

Monsieur M. – Oh, mais ça ne nous dérange pas du tout.

Sourire complice de la Dame qui n’a pas encore dit un mot. Elle l’aime bien. Lui semble avoir apprécié son toupet. Elle sera embauchée. Entrée par la différence, entrée comme une effrontée. Les éditeurs aiment.


SEMINAIRE, JOUR 2, PARIS, 6 SEPTEMBRE 2011

Onze personnes fraîchement embauchées pour la France et la Belgique : sept hommes et quatre femmes, Monsieur M, la Dame, l’administrateur. Très grande table, bibliothèques sur tous les murs, oeuvres d’art dans tous les coins.

Monsieur M. – Sarkosy est un fasciste. Point. L’affaire Strauss-Kahn en est la démonstration évidente. Un complot je vous dis, un complot. L’autre là, Mme Royal. On la pensait bête mais ce n’est pas une fasciste, ça aurait été mieux tout de même. Et regardez donc ces hordes de féministes… Ridicule ! Elles se trompent de combat. J’espère qu’il n’y a pas de féministe parmi nous. Le féminisme était un combat valable il y cinquante ans. Aujourd’hui, cela n’a plus de raison d’être.

Elle penche son buste en arrière, elle ne le voit plus. L’administrateur la cache. Elle tremble. Elle ne comprend pas pourquoi elle a envie de pleurer. La tristesse a voilé sa colère : il fallait qu’elle quitte le navire, un joli navire. Bien sûr, elle savait qu’elle allait partir.

L’administrateur – Nous pouvons peut-être revenir à ce qui nous occupe, à nos nouveautés.

Monsieur M. – Avez-vous lu mon livre ?

L’administrateur – Ils ne sont pas fous, évidemment qu’ils l’ont lu.

Monsieur M. – Qu’en pensez-vous Marc ?

Marc, Belgique – Je ne sais pas ce qu’il s’est passé. Je n’ai rien reçu par la Poste. Il y a dû avoir une erreur.

Il ment, tout le monde le sait mais il a du toupet.

Monsieur M. – Madame J., et vous qu’en avez-vous pensé ?

Silence.

Elle sert les dents. Simili sourire, larmes aux yeux, colère aux poings.

Monsieur M. – Je sais que je vous ai choquée Madame J.

Monsieur M. sourit. Il lui a rendu la monnaie de sa pièce d’embauche. Papy est un guerrier. Il est fier.


DEMISSION, LYON, 20 OCTOBRE 2011

Personne. Une mail et un téléphone qui sonne dans le vide.

Elle est partie trois semaines plus tard, profitant de la période d’essai. Pas assez effrontée, pas vraiment une guerrière, féministe larvée. Lui n’a pas voulu lui parler : elle est une traîtresse.

La Dame fait la morte.

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